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Deuil en expatriation : faire face à la perte à distance

homme triste
LightFieldStudios / Envato Elements
Écrit parSophie Gidrolle 13 Mai 2025

Vivre un deuil est toujours une épreuve. Mais lorsqu'on est expatrié, loin de sa famille et des rituels qui accompagnent habituellement la perte, le processus devient plus flou, plus silencieux. Comment traverser l'absence quand tout, autour de soi, continue comme si de rien n'était ? Sophie Gidrol, palliatothérapeute, explore les réalités du deuil à distance et propose des pistes pour mieux vivre cette étape essentielle.

Comprendre le processus du deuil

Le deuil est un processus commun à tous les humains. Chacun de nous perdra un être cher un jour ou l'autre. Vivre l'absence, c'est se confronter à de micro-réalités au fur et à mesure du temps qui passe, c'est permettre à chaque cellule de son corps d'intégrer ce que le cerveau a compris « rationnellement ». Le deuil est une étape de vie qui nous rend vulnérable et nous chamboule intérieurement. Lorsqu'on habite à l'étranger, loin de notre pays et de nos familles, il est plus compliqué de se laisser vivre ce processus qui nous permettra de prendre conscience de la mort d'un proche. Il peut être important de préparer l'éventualité de cette situation en ayant un voyage d'urgence possible, par une cagnotte spéciale ou en le prévoyant dans son package d'expatriation avec l'entreprise. Alors, quand les modalités pratiques sont réglées, comment prendre soin de soi, respecter le temps nécessaire pour réaliser l'absence et ne pas se sentir isolé ?

Donner du sens malgré l'éloignement

Qu'on habite à l'étranger ou à l'autre bout de la France, la distance complexifie le deuil, distance encore augmentée par un éventuel décalage horaire. En effet, pour pouvoir intégrer l'absence d'un être cher, il faut que croire et savoir s'équilibrent. En général, l'endeuillé sait que son proche est mort, mais croire prend du temps : il faut pour cela vivre les rituels familiaux et culturels du deuil ainsi que des choses concrètes qui nous confrontent à l'absence. Ainsi, plus on peut donner des éléments concrets, plus on peut avancer : aller à la mise en bière, constater les changements physiques, la respiration inexistante, le tri des vêtements, les démarches administratives… Tous ces éléments permettent de prendre conscience de la mort. Or, quand on habite loin, on est parfois privé de ces moments-là. Si la mort est soudaine, on revient pour les funérailles et on repart dans sa vie. L'expatriation peut alors devenir une bulle de protection où la vie continue, le travail avance, et est décorrélée de cette réalité qui est ailleurs. « Je me rends compte que maman est décédée seulement le lundi, car son coup de fil hebdomadaire me manque. » Comment limiter cet effet bulle, qui peut générer de l'inquiétude à propos du retour en France pour les vacances, ou créer un effet boomerang ?

L'idéal, quand on le peut, est de rentrer temporairement dès que possible. En cas de maladie, allez vivre les derniers jours de votre proche : ça peut être très apaisant pour la suite. En tout cas, essayez de partir plus que le temps des obsèques, c'est encore mieux. Pour cela, n'hésitez pas à prendre une location, pour être chez vous tout en étant proche de votre famille. Certes, rentrer longtemps en France n'est pas toujours simple, mais faire vivre les rituels familiaux du deuil à ses enfants est aussi une façon de leur donner des racines et une éducation à la mort. S'accorder du temps et considérer que l'on vit un temps particulier est une façon de prendre soin de soi !

Être présent, c'est aussi se mettre à la juste place d'endeuillé : en étant moins impliqué, vous prenez le risque de vous mettre en recul dans le « socle de solidarité » – le cercle présent mais moins impacté par l'absence. Et quand vous êtes sur place, écoutez les récits, les légendes familiales, faites-vous raconter les moments qui ont précédé la mort du proche, faites « revivre » l'être cher en vivant pleinement les émotions qui vous submergent, et partagez-les avec vos proches.

Rester en lien avec sa vulnérabilité

Et puis, après cette période hors du temps, il faut rentrer chez soi et retrouver sa « bulle ». Il est alors important de trouver une façon de s'impliquer : les visios sont importantes, envoyez des messages les jours où vos proches feront le tri des vêtements, pour le rendez-vous chez le notaire et dans toutes les petites étapes qui jalonnent le deuil. Accordez-vous un temps dédié par semaine, idéalement avec un thérapeute, dans un endroit où vous pouvez vous remémorer vos souvenirs avec le défunt, en parler, le pleurer et prendre conscience de sa mort. Enfin, idéalement, revenez passer le premier Noël, revenez faire solidarité avec votre famille face à l'absence. C'est une façon importante de maintenir votre place d'endeuillé.

Dans certains pays, par exemple, au Laos, ou au Kenya où les gens doivent subvenir à leurs besoins primaires (se nourrir aujourd'hui), le deuil peut devenir un luxe. On peut alors avoir le sentiment de s'appesantir sur soi. « Est-ce que j'ai le droit de pleurer mon père alors que j'ai un toit, que je mange à ma faim, et que mes enfants sont en bonne santé ? ». La réponse est oui ! Oui, vous avez le droit de vivre votre propre réalité, même si elle est très différente de celle du pays dans lequel vous habitez. Autorisez-vous à traverser cette période et à vivre votre chagrin. C'est nécessaire pour vous.

Prenez conscience que le deuil est un processus qui a besoin de bonnes conditions pour cicatriser : prenez soin de cette étape-là. À vous de trouver les moyens de prendre soin de vous à travers un accompagnement, l'écriture, le sport, la peinture ou la méditation… Certains endeuillés choisissent de prendre des photos de leur pays d'accueil qui ont du sens, qui illustrent des émotions. Chacun sa façon de l'exprimer, le plus important étant de s'autoriser à vivre son deuil. Vous pouvez aussi vous intéresser aux rituels du deuil de votre pays et, pourquoi pas, partager sur le sujet avec la population locale. Peut-être découvrirez-vous que, finalement, votre réalité n'est pas si éloignée que ça de la leur ?

Surmonter le sentiment d'isolement

Certains expatriés vivent des situations très difficiles liées à des questions de sécurité : pays en guerre, migrations de populations, camps de réfugiés, climat insécure, missions ponctuelles dangereuses… Là encore, le processus de deuil peut devenir relatif, parce que c'est la sécurité physique des gens qui prime. Les endeuillés ne peuvent alors pas vivre l'étape, car ils sont sans cesse en vigilance et ne peuvent pas baisser la garde. Ils enclenchent le mode automatique. Après une mission de ce type, le retour dans un pays sûr peut être très dur, car la réalité arrive de plein fouet. Avoir un suivi thérapeutique en ligne durant ces missions peut être intéressant parce qu'au moins une fois par semaine, vous pourrez vous poser et prendre soin de votre deuil, même si c'est juste pour prendre conscience, parler du défunt. Pour ceux qui ne le souhaitent pas, on peut avoir un objet dans la poche (médaille, caillou…) que l'on touche régulièrement dans la journée et qui crée des micro-moments dédiés à la personne décédée.

Face à cette situation exceptionnelle, on peut se sentir isolé en expatriation. Vivre l'expatriation, c'est souvent vivre des déménagements réguliers qui ne permettent pas toujours de lier des relations durables avec qui déposer sa peine. Dans certains pays, le milieu des expatriés est restreint et peut créer la sensation que tout se sait. Il est alors difficile de se confier sur ce que l'on vit. Pourtant, il est encore plus important de se créer un espace pour accueillir les émotions, se remémorer l'être perdu et exprimer ce que l'on ressent. Le suivi thérapeutique offre cet espace confidentiel et dénué de jugement. Concomitamment, n'hésitez pas non plus à tenir un journal, qui vous obligera à créer un espace et un lieu où déposer vos émotions.

Vous l'avez compris, la période de deuil est un espace-temps très particulier dans une vie, qui nécessite d'être pleinement vécu. En expatriation, il est important d'y accorder une attention toute particulière. On trouve plus facilement de « bonnes » raisons de ne pas prendre soin de son deuil et pourtant cette étape de vie nous permet de grandir, d'être en contact avec notre humanitude et finalement de redevenir un être vivant capable de s'émerveiller. Avec l'été qui annonce les retours en France, pensez à programmer le temps d'un rituel (visite au cimetière, regarder un album photo familial, faire un repas dédié à la personne défunte à travers des anecdotes…). Pensez aussi à la littérature ! Lisez en famille un livre qui ouvre le dialogue : le livre Saule – Éditions pour penser est une belle entrée en matière, qui recense aussi de petits exercices simples pour mieux parler de son deuil. Enfin, prenez conscience qu'un deuil pleinement vécu vous permettra d'avancer plus sereinement.

Deuil d'amitiés expatriées : comment honorer ces liens à part

Vivre à l'étranger, c'est aussi créer des relations totalement étrangères à notre environnement familial et habituel en France. Quand on perd un ami que personne ne connaît dans son pays d'origine, comment le partager avec ses proches ? Le décalage est immense parce qu'on est touché par une histoire, une rencontre et une perte qui n'appartiennent qu'à nous. Les rituels du pays sont peut-être très différents et déstabilisants ? Dans ce cas, intéressez-vous à ce qui se passe au niveau local, autorisez-vous à vivre le deuil à votre façon. Il n'est pas nécessaire d'adopter les coutumes locales, mais vous pouvez partager avec les proches du défunt.

De la même façon, vous serez peut-être amené.e à vivre la perte d'un.e ami.e d'une expatriation précédente et être empêché par la distance d'aller vivre les funérailles. N'hésitez pas à prendre contact avec l'entourage pour pouvoir suivre la cérémonie en distanciel. Et comme pour la situation décrite ci-dessus, n'hésitez pas à vous créer vos propres rituels pour rendre hommage à votre ami.e.

Dans ces deux cas, le thérapeute spécialiste du deuil offre un lieu privilégié pour s'exprimer et peut-être mieux comprendre ce qui se joue et se sentir moins isolé.e et en décalage avec son environnement.

Vie quotidienne
A propos de

Palliatothérapeute (Thérapeute en Intelligence relationnelle), Sophie Gidrol accompagne les pertes et les deuils. "Lorsque les ombres sont mises en lumiere, elles disparaissent." Elle conjugue l'accompagnement des proches et, actuellement, l'ouverture de la 1re unité de soins palliatifs de l'île Maurice.

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